AVIS D'INAPTITUDE ET CESSATION DEFINITIVE DE L'ACTIVITE D'UNE ENTREPRISE : LA PROCEDURE DE LICENCIEMENT ECONOMIQUE PREVAUT DORENAVANT
02/11/2021
M. [F], engagé le 5 Septembre 1994 par la société, a été victime d'un accident du travail le 10 décembre 2015, puis placé en arrêt de travail. Le 3 mars 2017, il a été décidé de la liquidation amiable de la société à la suite de la cessation d'activité de celle-ci compte tenu du départ en retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur. À l'issue d'une visite de reprise du 24 mars 2017, le salarié a été déclaré inapte à son poste. Il a toutefois été licencié pour motif économique le 25 mars 2017.
Les demandes et argumentations
Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et allouer au salarié des sommes au titre de la rupture, la cour d'appel de Besançon, après avoir constaté que la cessation de l'activité de l'entreprise du fait du départ à la retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur était réelle, a retenu qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude le 24 mars 2017, l'employeur ne pouvait plus licencier le salarié le 25 mars 2017 pour motif économique et devait appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévue aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail. La cour d'appel en a déduit que le licenciement du salarié en tant qu'il est fondé sur un motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le pourvoi faisait valoir que l'employeur pouvait licencier, pour motif économique, le salarié déclaré inapte à reprendre son précédent emploi par le médecin du travail, en cas de cessation définitive d'activité et d'impossibilité de reclassement.
La décision, son analyse et sa portée
La cour de cassation accueille le pourvoi de l'employeur et considère qu'ont été violés les articles L. 1233-3 (relatif à la définition du motif économique de licenciement) et L. 1226-10, alinéa 1er (sur l'obligation de reclassement du salarié inapte à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle). En effet, le motif économique lié à la cessation définitive n'était pas contesté, ce dont il se déduisait, affirme la cour de cassation, l'impossibilité de reclassement.
• Le régime du licenciement économique prévaut exceptionnellement
De cette motivation, on comprend que, dans le contexte d'une entreprise cessant son activité, le salarié inapte peut faire l'objet d'un licenciement pour motif économique, l'employeur étant libéré du régime pour inaptitude.
Cela signifie en premier lieu que, l'employeur n'aura pas à rechercher un reclassement pour le salarié. La cessation d'activité dispense donc l'employeur de l'obligation principale mise à charge par le régime de l'inaptitude, tout comme elle le dispense dans le cadre du régime du licenciement économique.
La procédure de licenciement pour inaptitude et son régime indemnitaire spécial s'effacent, en second lieu, pour laisser entièrement place aux règles du licenciement économique. L'employeur pourrait certes, de son propre chef, procéder à un licenciement pour inaptitude (en suivant le régime propre à celui-ci), mais il a tout intérêt à se placer sur le terrain du motif économique lorsque l'inaptitude a une origine professionnelle afin d'éviter d'avoir à verser les indemnités plus lourdes prévues dans ce cadre.
La solution de l'arrêt commenté peut a priori surprendre au regard de la jurisprudence antérieure de la Chambre sociale. La solution de l'arrêt commenté peut a priori surprendre au regard de la jurisprudence antérieure de la chambre sociale, laquelle a jugé, de manière constante, dans des situations de concours entre une situation d'inaptitude et un motif économique, que le régime de l'inaptitude s'imposait.
Elle avait ainsi affirmé que « la salariée ayant été déclarée inapte à son emploi par le médecin du travail à la suite d'un accident du travail, ce qui lui ouvrait droit au bénéfice des dispositions de l'article L. 122-32-5 du Code du travail, l'employeur ne pouvait dès lors la licencier pour motif économique sans méconnaître ces dispositions » (Cass. soc., 14 mars 2000, no 98-41.556, JSL no 56, 18 avr. 2000, obs. M. Hautefort, « Inaptitude à l'emploi et licenciement économique sont incompatibles »). Ainsi, selon notre compréhension de cette jurisprudence, l'employeur devait mener à son terme la procédure de licenciement pour inaptitude, et donc rechercher d'éventuelles solutions de reclassement conformes avec l'avis du médecin du travail, avant de pouvoir procéder au licenciement pour inaptitude, peu importe l'existence d'un motif économique.
Du reste, le choix de la primauté du régime du licenciement pour inaptitude avait été également retenu, à l'origine, dans des hypothèses où l'employeur (ou le liquidateur), cessant son activité, était tenté de rompre le contrat de travail, sans attendre, pour motif économique « la cessation d'activité ou tout autre motif économique ne libère pas l'employeur de son obligation de respecter les règles particulières aux salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle » (Cass. soc., 7 mars 2007, no 05-43.872).
Mais il est vrai que cette jurisprudence avait été renversée par des décisions ultérieures concernant des situations de cessation d'activité survenues dans le cadre d'une liquidation judiciaire (Cass. soc., 4 oct. 2017, no 16-16.441, JSL no 442, 29 nov. 2017, obs. Phil. Pacotte, J. Layat-Le Bourhis, « Cessation totale d'activité et impossibilité de reclassement du salarié inapte »). L'explication de cette évolution n'est pas compliquée à trouver : l'entreprise cessant son activité, le reclassement du salarié (inapte) est nécessairement impossible.
Cabinet RYMO Conseil et Formation
Cass. Soc. 15 sept. 2021, pourvoi n° 19-25.613, arrêt n° 981 FS-B