VIDEOSURVEILLANCE EXCESSIVE ET CONTINUE : LES ENREGISTREMENTS NE PEUVENT PAS SERVIR A JUSTIFIER LE LICENCIEMENT
11/10/2021
Un cuisinier, qui officiait dans une pizzeria, est congédié pour faute grave. Il lui est reproché des manquements aux règles d'hygiène et des absences injustifiés.
Pour justifier le bien-fondé de ce licenciement, l’employeur explique que, malgré plusieurs rappels à l'ordre verbaux, aucun changement de comportement n’ayant été noté, un avertissement a été infligé à l’intéressé, qui a alors été informé qu’un système de vidéo-surveillance et un registre de contrôle et de pointage des heures de travail allait être mis en place. Les dysfonctionnements ayant persévéré, l’employeur a donc rompu le contrat de travail : il signale que les faits incriminés peuvent être prouvés au moyen d’images obtenues par son dispositif de vidéo-surveillance.
Mais, en appel, le salarié a obtenu des dommages et intérêts pour licenciement abusif : Les juges ont considéré que, puisque le salarié était le seul à travailler dans la cuisine de l'établissement, l'installation d'une caméra dans ce lieu portait atteinte au droit au respect de sa vie privée, ce qui était disproportionné au but poursuivi. Par conséquent, les enregistrements de cette vidéosurveillance ne pouvaient être retenus à titre de justification du licenciement.
L’employeur, pour sa défense, plaide qu’est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché l'atteinte portée à la vie privée du salarié par le placement sous vidéosurveillance de la cuisine du restaurant où il travaille lorsqu’il s’agit de s'assurer de l'absence de manquements aux règles d'hygiène et de sécurité et ce, dans un but de sécurité des personnes et des biens, peu important qu'il soit le seul salarié à travailler dans la cuisine.
Il n’a pas convaincu la Cour Suprême, qui a rappelé que, « aux termes de l’article L. 1121-1 du Code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Or, poursuit la Haute Juridiction, « la cour d’appel a constaté que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée. Elle en a déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas opposables au salarié et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».
Les enregistrements vidéo ne pouvaient donc servir de preuve à l’appui du licenciement.
Cette position est en phase avec celle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui, tout en soulignant qu’elle n’a « aucune opposition de principe à l’encontre de dispositifs de vidéosurveillance ayant pour vocation de protéger les personnes et les biens », a dit que « elle ne saurait en revanche tolérer le maintien d’un dispositif portant atteinte aux droits et libertés protégés par la loi », ce qui peut être le cas lorsque des caméras filment l’ensemble des postes de travail des salariés d’un bureau, les plaçant ainsi sous la surveillance constante de l’employeur (Délib. Cnil, n° 2010-112, 22 avr. 2010).
La Cnil a aussi précisé que « le placement sous surveillance continue des postes de travail des salariés n'est possible que s'il est justifié par une situation particulière ou un risque particulier auxquels sont exposées les personnes objets de la surveillance. Il appartient au responsable de traitement de justifier de ces circonstances et de la proportionnalité du traitement » (Délib. Cnil, n° 2014-307, 17 juill. 2014).